Marcher dans le désert : une itinérance accompagnée

Marcher dans le désert : une itinérance accompagnée

Quelques jours accompagnés, en itinérance dans le désert

Philippe Castan

Arriver:

Qu’ai-je laissé derrière moi en venant ici, personnes, lieux, activités, possessions? Et comment les ai-je laissé : avec plaisir, déplaisir, soulagement, difficulté?
Et malgré tout comment est-ce que je tente d’en transporter une part ici avec moi, en moi?
Moi et mon simple sac qui prend sa place dans mon dos et sur mes hanches, moi et mes pieds dans le sable qui peinent à trouver un nouveau rythme, moi et mes yeux qui se perdent dans cette nouvelle immensité, moi et mes oreilles qui entendent surtout le silence, moi et ma peau qui ne perçoit que le vent assez froid de cet automne dans le Wadi Rum, moi et ma langue qui goûte mon premier thé du désert.
Comment cet environnement exceptionnel me « force en douceur » dans le vécu du décalage complet.

Itinérance dans le désert

Présence:
L’horloge lumineuse s’est chargée de modifier les repères et cette nuit le ciel ne s’est jamais éteint : explosion d’étoiles d’abord, puis luminaire gratuit de la lune qui a installé un paysage blanc, puis le soleil se lève…tôt, avec les premiers bruits de préparation du thé, juste à côté, et les braises que l’on réveille avec quelques brindilles.
C’est le temps de la présence totale à cet environnement, une nouvelle journée, qui en appellera une autre, on peut commencer à contacter l’itinérance, une forme de continuité.
Comment s’autoriser à être ici totalement présent? Sans cause, sans pourquoi, sans conséquence, sans projection de la suite.
En marchant nous allons pouvoir laisser de la place aux questionnements intimes qui vont émerger de l’expérience, juste de l’expérience.

Itinérance accompagnée dans le désertItinérance accompagnée dans le désert

Relation:
A présent est le temps où je ne sais plus très bien depuis quand je suis parti(e), je parle de « week-end prolongé », j’ai du mal à positionner le jour d’aujourd’hui. Cela fait un « certain temps », donc, que je n’ai plus vu une douche, ni des images qui bougent ou parlent sur l’écran de mon Smartphone (2 conquêtes récentes de notre civilisation, dont ici il semble que je puisse me passer assez aisément…).
C’est le temps de la pleine relation avec cet environnement : non seulement je m’attarde de plus en plus longtemps dans la contemplation du paysage, mais également je remarque nombre de détails jusqu’ici inaccessibles. La marche itinérante en elle-même n’est plus un souci, c’est fluide à présent.
Je peux mettre en discussion des questionnements de plus en plus profonds, de plus en plus en relation avec qui je suis.

Itinérance accompagnée dans le désertItinérance accompagnée dans le désert

Quitter :
Il faudrait à présent conscientiser que nous allons quitter cet endroit.
Quitter nos guides bédouins, quitter nos tentes rudimentaires, nos cheveux envahis de sable fin, quitter ce regard intense et flou happé par le paysage, quitter nos chaussures de marche, quitter nos compagnons et compagnonnes de désert, quitter nos nuits étoilées, cette sensation flottante sous nos pieds, les nuances de rose, d’ocre, de rouge, le vent, nos keffiehs, le sable sous nos ongles, les immensités, le silence, les traces de gerboise, le bois sec pour le feu, quitter cette part de moi-même qui s’est adaptée ici.
Et retrouver celle qui a résisté à s’adapter – qui se fait croire à elle-même qu’elle « n’est pas d’ici ».
Alors… qu’est-ce que j’emporte avec moi de toute cette expérience?
Si je ne le conscientise pas, le retour à un environnement de véhicule, de smartphone, de route, de réseau, de foule, de bitume, d’eau courante, d’aliments, de pluie, de ciel gris, va me le faire clairement et fortement sentir, m’engloutir rapidement dans sa sauce +/- toxique d’abord, puis anesthésiante ensuite.
Mais heureusement j’étais là, posé dans cet endroit du monde, pleinement présent et humble et en y étant ainsi, j’ai appris de moi-même.

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