Marcher à l’aveugle, accompagné
La marche en aveugle, accompagné(e): un soin pour soi, pratiqué dans un cadre sécurisé.
Le contexte de l’accompagnement en marchant
La personne accepte assez facilement, lorsqu’elle est accompagnée en marchant à l’aveugle, l’expérimentation corporelle.
Il s’agit alors de mettre du corps dans la métaphore : « je vais vers mon futur mais je ne sais pas où je vais ». Voilà en effet une réflexion à la fois banale et pleine de sens… Comment ne pas la laisser trop intellectuelle?
Donc voilà la personne équipée d’un bandeau sur les yeux. Et il s’agit davantage d’une aide que d’une contrainte. En effet, marcher simplement les yeux fermés n’empêche pas les mouvements réflexe des paupières qui s’ouvrent brusquement au contact d’une irrégularité du sol par exemple.
Ainsi le bandeau permet d’avancer soit les yeux ouverts, le regard portant au centre du masque opaque, soit les yeux fermés, en gardant les paupières les plus détendues possibles, pour influencer la posture générale le moins possible.
Prise de Risque, accompagné(e)
Le niveau de confiance est souvent élevé envers l’accompagnant(e), souvent présent au contact dans un premier temps. Quel « contrat » passer avec son accompagnant pour lancer sa marche à l’aveugle, vers son futur inconnu? Comment exprimer concrètement et réellement ses besoins?
Parfois quelques secondes d’ajustement humain, parfois plusieurs longues minutes à tâtonner avant qu’un mouvement ne débute. Tantôt un très haut niveau de confiance donné a priori et un relâchement perceptible du corps, tantôt une crispation de la posture et des difficultés à s’accorder.
L’un a envie de guider, l’autre a envie d’entendre, un troisième tient le bras, un quatrième « descend » dans la pleine sensation de ses pieds et veut être autonome.
Sans compter celui qui ne parvient pas à bouger… Je me souviens de cette cliente s’étant en permanence plainte de vivre avec une personne qui ne lui laissait aucune initiative, exprimant son besoin de liberté et qui, une fois à l’aveugle, restait immobile en demandant « bon, où est-ce qu’il faut que j’aille maintenant? », puis pestait contre son accompagnateur qui ne « l’aidait » pas!
La conscience de ses sens
La vue, sens synthétique et premier par excellence, n’est plus là. Elle ne transmet plus d’informations au corps ni aux autres sens, qui soudain s’aiguisent différemment.
Et puis nous sommes en marche, non pas à méditer immobile ni concentrés à l’écoute d’une musique dans une pièce, mais en milieu naturel, où toutes sortes de sons inhabituels se manifestent, où l’irrégularité du sol est souvent permanente, où le corps peut à chaque instant entrer en contact avec un arbre, une pierre, un courant d’air. Les canaux perceptifs préférentiels de chacun s’activent et s’amplifient (auditif, kinesthésique, olfactif, voire…gustatif!).
Découvertes de soi
L’expérience se prolonge, parfois plusieurs dizaines de minutes. Par exemple, je me souviens d’un client qui a marché plus d’une heure ainsi, sa main droite tenant une sangle de mon sac à dos. Alors, nous avons alors longuement parcouru les trottoirs d’une banlieue, croisant de nombreuses personnes étonnées.
Le vécu d’une sensation grandissante de bien-être est fréquent – la vue serait-elle le vecteur principal des peurs?
Je me souviens de cette personne qui décrivait un parcours un peu « erratique », ayant perdu toute orientation, n’ayant plus aucune sensation de vers quelle direction marcher, et « se reconnaissait » parfaitement dans ce mouvement.
Aussi, je me souviens de cette cliente qui , dès les yeux bandés, rentrait dans un monde d’images fortes. Ces images lui étaient inconnues, mais se remplissaient de sens ensuite. Nous aurions pu marcher sur n’importe quel chemin je pense, tant ce monde d’images était actif et dominant pour elle.
Sortir de l’expérience
Revenir à sa vue n’est pas toujours aussi simple. Déjà se réaccoutumer à la lumière, retrouver un mouvement qui prenne la vue en compte. Souvent la personne se retourne et regarde le chemin qu’elle a parcouru. Elle a gardé trace des sensations fortes vécues. Un relâchement corporel s’exprime souvent, ainsi que l’étonnement d’avoir d’emblée ressenti une grande confiance en son accompagnant(e)